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- 28-05-2024

Interview avec Julien Duprat, CEO d’EspritsCollaboratifs

L’équipe Veille vous partage l’expertise de Julien Duprat à propos de l’utilité de la veille, de sa nécessaire dimension collective et son impact à l’échelle d’une entreprise. Julien nous fait part de sa vision collaborative de la gestion de l’information et témoigne de son expérience à la tête d’EspritsCollaboratifs.

Équipe Veille : Faire de la veille aujourd’hui, en quoi est-ce essentiel ?

Julien Duprat : Aujourd’hui, l’ensemble des métiers font face à des besoins cruciaux en informations, que ce soit pour soutenir des prises de décisions, optimiser ou faire évoluer leurs processus métiers, ou encore développer leurs connaissances ou compétences. Parmi nos clients, quelle que soit la taille ou le secteur de l’entreprise ou de l’organisation, le constat est le même : les collaborateurs, indépendamment de leur métier ou de leurs activités, se retrouvent face à un besoin d’accès à une information qualifiée, et le plus souvent, spécifique à leurs activités.

Ces veilles sont indispensables car elles sont au cœur des performances opérationnelles, tactiques et stratégiques de l’entreprise. Et cela est vrai depuis toujours, l’information a toujours été regardée comme un indispensable et un incontournable de toute stratégie et de toute démarche de conquête. À titre illustratif, Napoléon disait ainsi : « Se faire battre est admissible, se faire surprendre est inacceptable ». Sun Tsu, quant à lui, expliquait dans L’Art de la guerre : “Qui connaît l’autre et se connaît lui-même, peut livrer cent batailles sans jamais être en péril”.

 

É.V : Comment la veille se décline face à la pluralité des métiers au sein d’une entreprise ? 

J.D : Afin de répondre aux nombreux besoins en informations des métiers, qu’ils soient pleinement exprimés ou non, il faut passer par des dynamiques de veille décentralisée au sein desquelles les collaborateurs pourront être accompagnés, puis autonomisés dans la détection et le traitement de ces informations. En œuvrant collectivement sur une même plateforme de veille, les efforts individuels de veille permettront de générer un commun informationnel accessible aux nouveaux salariés, générant ainsi des économies de temps et d’énergie au fur et à mesure que les sujets de veille et d’analyse de l’entreprise seront couverts.

Les nouveaux arrivants bénéficieront ainsi d’un large panel de veille, de tableaux de bord et de newsletters ; ils pourront utiliser les informations déjà qualifiées et se concentrer sur leurs besoins informationnels spécifiques pour lesquels ils n’ont pas encore trouvé de réponse. En avançant ainsi, une organisation peut soutenir des dynamiques collaboratives et initier des premiers niveaux d’analyse transversale en mobilisant les expertises et compétences de différentes parties prenantes déjà actives dans la démarche. En apportant d’abord des réponses aux besoins individuels et métiers de chacun, il est possible de mobiliser ensuite ces salariés dans des travaux d’intérêts transversaux et collectifs.

Il n’existe pas de chemin pré-tracé pour mettre en œuvre de telles démarches de veille et d’intelligence collaborative, mais le point de départ de ces dynamiques qui parviennent à se décentraliser est souvent celui d’une équipe cœur, déjà en posture de veille, qui reconnaît les limites d’une approche centralisée. Malgré leurs efforts historiques pour suivre leurs marchés, leurs concurrents, les nouveaux entrants, ainsi que les nouvelles contraintes règlementaires, les membres de l’équipe constatent qu’ils ne peuvent répondre à l’ensemble des besoins métiers.

Pour remédier à cela, plusieurs invariables sont à considérer : ouvrir le plus largement possible l’accès à l’ensemble des veilles existantes et se mettre en posture d’accompagner les métiers et les collaborateurs à répondre à leurs propres besoins informationnels. Certains métiers exprimeront directement des besoins informationnels concrets et précis ; pour d’autres, il faudra identifier les douleurs, les enjeux autour de leurs activités pour coconstruire avec eux des dispositifs de traitement de l’information qui faciliteront l’atteinte de leurs objectifs et la résolution de leurs difficultés.

 

Prenons l’exemple des RH : quels sont les besoins de veille pour le métier des RH ? Quels sont leurs principaux enjeux actuels : recrutement, génération de sens au travail, amélioration de la marque employeur, acculturation des salariés aux IA génératives, nouvelles formes de travail et de collaboration… ? Face à chacun de ces enjeux, il faut se demander quel est l’observatoire informationnel à bâtir et quel traitement de l’information permettra d’outiller au mieux ces équipes et de les accompagner à répondre à ces besoins.

À titre d’exemple, prenons les enjeux de recrutement au sein du groupe VYV : il s’agit de mieux faire connaître l’entreprise et sa culture par rapport à ses valeurs, ses projets, ses offres d’emploi. Une approche possible serait de bénéficier des veilles sectorielles, d’innovation, de RSE autour des métiers de VYV et d’imaginer une stratégie de communication et d’animation sur LinkedIn et auprès des étudiants ciblés par l’entreprise. Cette stratégie pourrait reposer sur les salariés de VYV pour diffuser les contenus externes identifiés, les productions internes, ou encore relayer les posts des comptes LinkedIn de l’entreprise et de ses dirigeants.[1]

 

É.V : Quelle boite à outils pour faire de la veille ? 

J.D : Je pense que la question devrait plutôt être : quelles boîtes à outils sont nécessaires pour réaliser de la veille et de l’analyse ! En effet, le cycle de gestion de l’information (Expression de besoins // mise en surveillance et recherche // qualification, enrichissement, capitalisation // analyse // diffusion) requiert aussi bien des compétences techniques que des compétences informationnelles, organisationnelles et interpersonnelles :

  • Les compétences techniques sont celles liées à l’exploitation des outils nécessaires durant le cycle de gestion de l’information : moteurs de recherche, OSINT, plateformes de veille, outils d’analyse de données massives, outils de datavisualisation, et depuis peu les IA génératives… Dans les organisations, il y a également toute une palette d’outils déjà en place avec laquelle il faut savoir habilement composer : monter une communauté Teams pour faire connaître sa démarche, diffuser ses productions sur les communautés qui seront intéressées, se rapprocher des équipes de communication pour mettre en visibilité la proposition de valeur de la démarche de veille dans les outils et canaux officiels de la communication interne…
  • Les compétences informationnelles constituent les littératies informationnelles : capacité à définir des plans de recherche, des requêtes, du sourcing, exercer un esprit critique, analyser la fiabilité d’une information, rechercher des sources primaires…
  • Les compétences organisationnelles et interpersonnelles enfin témoignent du fait que les activités de veille, d’analyse et de soutien à une prise de décision sont des activités profondément humaines. Il convient de savoir écouter, échanger, faire s’exprimer, embarquer, convaincre, motiver, récompenser les différentes parties prenantes et bien évidemment de pouvoir planifier, organiser et gérer ces magnifiques démarches !

 

É.V : Quel est l’apport du collaboratif dans une démarche de veille ? 

J.D : La décentralisation des pratiques de veille et le développement de dynamiques collaboratives sont, de mon point de vue, la clé de voûte de nouvelles performances au sein de l’entreprise. L’ancien modèle d’une petite cellule de veilleur faisant la veille pour toutes les directions a connu ses limites ; aujourd’hui, il y a un impératif à créer une culture informationnelle collaborative où chacun des acteurs est concerné, engagé, responsabilisé et accompagné. La performance de l’entreprise est l’affaire de tous, il en va de même pour la question de la veille et du traitement des informations utiles à chacun des métiers.

Prenons l’exemple de la sécurité : Afin de maintenir un environnement de travail sécurisé et de protéger l’entreprise, il est désormais accepté que la sécurité soit l’affaire de tous et non pas uniquement celle des services de sécurité de l’entreprise. Pour la veille, c’est la même chose ; il faut impliquer toutes les équipes et les responsabiliser en les autonomisant si l’on veut que chaque métier soit performant.

Je cite souvent l’exemple de la veille sur les grands comptes et les prospects : Si le responsable d’un grand compte ne s’intéresse pas à l’actualité de son compte, de son secteur et de ses concurrents, qui le fera ? De même pour les newsletters éditées autour de sujets très pointus : Qui mieux que les experts de ces sujets peut sélectionner les articles les plus pertinents et les plus en phase avec leurs domaines d’études ? Qui mieux qu’eux pourra analyser ces informations et les remettre en perspective par rapport aux projets actuellement menés en interne ?

De plus, l’immensité du périmètre à surveiller et la masse d’informations ne peuvent être traitées que par un engagement collectif des salariés, d’autant plus que les écosystèmes évoluent constamment, à un rythme effréné. Il est donc nécessaire d’adopter une approche collaborative et décentralisée, allant au plus près des équipes et des métiers, afin de rechercher des analyses transversales.

 

É.V : En quoi l’outil de veille Curebot s’inscrit dans cette sphère collaborative ? 

J.D : Le déclic autour d’EspritsCollaboratifs s’est produit après quelques années d’accompagnement de la démarche d’intelligence économique collaborative du groupe Orange, betterTogether, qui rassemblait déjà plusieurs milliers de salariés et couvrait une centaine de veilles pour la quasi-totalité des métiers. Je le considérais déjà comme un levier potentiel de transformation numérique de l’entreprise et un terreau de nouvelles formes de collaboration. EspritsCollaboratifs a été créé pour accompagner les entreprises dans le développement de pratiques de veille collaborative, décentralisée, impliquant et s’appuyant sur les expertises et les différents salariés d’une entreprise.

Nous avons constaté que les plateformes professionnelles historiques du marché étaient conçues pour permettre à de petites cellules de professionnels de la veille, de 1 à 5 personnes, d’opérer les activités de veille commanditées par les départements de l’entreprise et de produire les revues de presse, newsletters ensuite diffusées auprès des salariés. Ces plateformes, répondant à une logique client/fournisseur, ne permettaient pas d’impliquer des non-professionnels de la veille et encore moins de les faire réellement collaborer : que ce soit en termes de complexité d’utilisation, de difficulté ou d’impossibilité de s’autonomiser sur le paramétrage de la plateforme pour qu’elle puisse répondre à leurs propres besoins, au besoin de recourir systématiquement à un administrateur pour créer un nouvel objet, obtenir des droits ou même connaître l’existence d’un objet de la plateforme.

Pour permettre l’implication potentielle d’un nombre croissant de salariés dans ces efforts de veille et d’analyse, de création d’un commun informationnel, il nous semblait indispensable de repenser les fondamentaux des plateformes de veille, de concevoir une nouvelle grammaire fonctionnelle, de la penser collaborative par nature, simple à utiliser dans ses premiers pas, personnalisable et modulaire comme un lego informationnel pour que chaque individu, chaque collectif puisse définir sa façon de l’utiliser afin qu’elle réponde à ses propres besoins.

Curebot concrétise notre vision d’une veille collaborative au service de l’intelligence collective des organisations et des entreprises où nous souhaitons permettre à chaque collectif de tirer parti des expertises de chacun de ses membres et ainsi de faire converger compétences et connaissances du collectif pour atteindre un ou des objectifs communs.

L’ensemble des développements que nous entreprenons autour de Curebot et des accompagnements que nous proposons à EspritsCollaboratifs sont au service de l’intelligence collective telle que Pierre Lévy l’avait déjà définie en 2003, comme « l’art de maximiser simultanément la liberté créatrice et l’efficacité collaborative afin qu’émerge une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à la mobilisation effective des compétences ».

 

É.V : Notre groupe est composé de plusieurs entités aussi les riches les unes que les autres, comment capitaliser sur une veille collaborative ?

J.D : Le groupe VYV se distingue comme l’un des pionniers des démarches massivement collaboratives, ce qui représente précisément ce qui doit être fait pour capitaliser sur les informations, connaissances et expertises d’un groupe comptant plusieurs maisons et métiers partageant des secteurs similaires. Il existe déjà une volonté de les accompagner dans cette démarche en impliquant les entités et les métiers. Depuis peu, chaque salarié du groupe VYV peut accéder à Curebot ainsi qu’à l’ensemble des veilles, des tableaux de bord, des newsletters et des ressources qualifiées disponibles sur les nombreux domaines d’intérêt du groupe VYV.

Je rajouterai que pour exceller davantage, il faudra poursuivre la diffusion des pratiques de veille au sein des maisons et de leurs métiers, stimuler les pratiques d’analyse, continuer à promouvoir la démarche et présenter aux grandes directions des entités ce qui est disponible et accessible afin de soutenir cette dynamique. Par extension, il sera nécessaire de réussir à embarquer et à responsabiliser toujours plus de contributeurs.

 

É.V : Enfin il se dit que « Sans veille il n’y a pas de lendemain » : En quoi la veille est-elle essentielle dans une vision avant-gardiste et à long terme ?

J.D : J’adhère fortement à cette citation de Christophe Deschamps, le consultant formateur derrière le blog référent Outils froids. Les démarches de veille et d’analyse visent à assurer la compétitivité des organisations et donc leur pérennité à moyen et long termes. Pour aller plus loin, la veille est également une brique indispensable à toute démarche de prospective. Ces deux approches sont d’ailleurs parfaitement complémentaires. Jusqu’à présent, l’approche historique et académique de la prospective consistait à anticiper et formaliser des scénarios pour le futur et les lendemains. Cette approche a été mise à mal en raison de la multitude d’événements socio-économiques qui n’ont pas été anticipés. Les nouvelles approches de la prospective visent à rassembler différentes parties prenantes en vue de collectivement faire émerger une vision d’un futur souhaitable et de mettre en place, ensuite, les projets qui garantissent à l’entreprise d’atteindre ce futur souhaitable.

La veille collaborative peut jouer un rôle clé en permettant de créer une vision à long terme et pluridisciplinaire sur des sujets stratégiques. En surveillant, collectant, analysant et partageant des informations pertinentes entre les différentes parties prenantes, internes ou externes à l’organisation, la veille collaborative soutient une approche prospective éclairée des compétences, connaissances et expertises du réseau de contributeurs mobilisés. Nous avons publié sur notre site un article qui montre comment utiliser Curebot pour soutenir de telles démarches, n’hésitez pas à le consulter.

[1] Pour les collaborateurs disposant d’un accès, nous vous invitons à consulter l’application Limber qui propose ces fonctionnalités : https://app.limber.io/c/groupe-vyv.